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Il n'est pas de montagne plus haute que les marches de l'oubli

Lorsque je serai grand, je me vengerai

Je reproduis ici un article de Lamine Diagne journaliste au journal sénégalais "Le Soleil" qui traite de la circoncision.

Le style de l'écrivain sénégalais vaut bien celui des journalistes européens...

 

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Immersion dans une "odyssée" tumultueuse de trois élèves

 

Leurs pas ont précédé l'appel du muezzin à la prière de l'aube. Réveillés par leur père pour, leur dit-il "aller rendre visite à leur grand-mère", mes trois frères s'empressent de rompre leur sommeil.

Délivrés de leurs rêves nocturnes, somnambuliques, les visages débarbouillés, ils descendent les escaliers, heureux de cette nouvelle.

Leurs enjambées rythmées et vigoureuses, enivrent la maisonnée encore dominée par un clair-obscur cru.

Après avoir fait leur toilette par les soins de leur mère, ils se drapent gaiement dans leurs habits. Innocents et crédules, Abdoulaye, Daouda et Moustapha âgés respectivement de trois, quatre et six ans méconnaissent profondément les mystères qui entoure cette excursion matineuse.  

C'est dans une ambiance détendue que les trois écoliers entament ainsi, insouciants et euphoriques, ce pèlerinage qui va constituer, sans doute, un tournant déterminant dans leur existence.

Ils quittent ainsi la famille sans être informé qu'ils partent pour se faire circoncire.

 

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"Je ne veux pas leur faire peur, c'est pourquoi je n'ai pas voulu leur dire ce qu'il en est réellement", glisse leur père, Souleyman Diop en remuant à peine les lèvres.

Devant le domicile attend le taxi dans lequel ils s'engouffrent plus tard, flanqués de leur géniteur. Dans la rue, il fait froid.La rosée veloutée se répand et se condense sur le sol en fines gouttelettes et à l'intérieur duquel débusque une fraîcheur chatoyante.

L'horizon, dégarni de toute impureté, décline un ciel bleuissant. Une myriade d'étoiles , étincelantes de mille feux, y tourbillonne telle une née de sauterelles.

 

Le taximan, dont les phares de la voiture s'éclipsent plus qu'ils consument, conduit sagement son carrosse, faisant attention aux dos d'âne et aux crevasses entremêlées sur la route. La circulation devient plus incommode quand le véhicule arrive sur l'axe Thiaroye menant à l'hôpital de Pikine (Dakar) Sur cette allée, la piste est sinueuse, surtout en cette période d'hivernage. Il faut donc y rouler avec beaucoup de sagesse pour éviter toute crevaison, ce que réussit le chauffeur, impassible.

 

Une partie de billard

 

"Papa! Grand-mère n'habite plus à Guédiawaye", questionne Moustapha, éberlué, quand la voiture atteint l'hôpital.

"Elle ne va pas tarder à arriver, nous allons l'attendre ii pour partir ensemble" feint le père. A quelques mètres d'eux, des vigiles en faction, torches et matraques à la main, rôdent les yeux dans toutes les directions. A cet instant, la pudeur matinal commence à se dérober paresseusement. "Comment allez-vous les enfants? Nous allons faire une partie de billard. Connaissez-vous cela?" plaisante Konaté, l'infirmier. Les jeunes hommes répondent par le sourire, intrigués par leur présence dans ce lieu. "Je vais commencer par le plus petit", poursuit-il en tirant Abdoulaye par la main avec qui il s'infiltre dans une minuscule pièce. Daouda et Moustapha restent dans le vestibule, calfeutrés dans les bras de leur père.

A l'intérieur, un lit électrique agrémente la salle. des bandes adhésives et des ciseaux se bousculent sur une table. Des bouteilles de sirop, des boîtes de seringues et de comprimés sont précieusement cloîtrées dans un mini réfrigérateur pharmaceutique. Des bouteilles d'alcool règnent particulièrement en maîtres dans ce lieu qu'elles parfument.

L'odeur qui s'y dégage est piquante et âcre, mord les narines. 

Aboudalye, seul avec son hôte, scrute les moindres gestes de celui-ci.

"Avant d'entamer la partie, bois d'abord ce verre", propose le médecin espiègle, d'un seul trait, le garçon étourdi , vide le contenu.

Les instants qui suivent le propulsent dans les bras de Morphée.

Enveloppé dans sa blouse blanche , Konaté sa'arme de gants et de ciseaux avant de libérer son patient de ses vêtements. Il lui fait une injection sur le biceps droit et deux autres sur le prépuce. "Il faut au moins ces deux coups pour pouvoir stériliser cette partie avant de l'enlever", précise -t-il tout en s'agitant. Affalé sur le lit Abdoulaye continuent de dormir à poings fermés , évanoui. Dix minutes plus tard, le médecin entame l'opération, à l'aide d'un ciseau, la partie déjà émasculée. Soudain le sang gicle sur le drap. Le prépuce se détache ainsi peu à peu du corps, laissant découvrir un gland ténu. Après l'ablation, la plaie, cousue, est protégée de bande adhésive.

L'excisé se débat sur le matelas sans briser le sommeil. Au même moment Daouda et Moustaha attendent encore devant l'entrée, étrangers et insouciants.

 

Lorsque je serai grand, je me vengerai

 

"Ne me touchez pas" assène Moustapha à l'endroit de Konaté, àpeine entré dans la salle. Apeuré par la peine de se frères qui gémissent de douleur, une flopée de sanglots s'évadent subitement de se yeux et inondent sa poitrine. Conscient de la fatalité qui le guette, il court dans tous les sens, se cachant parfois derrière le dos de son père qui a la mine nostalgique. "Papa! Allons! Retournons à la maison", répète-t-i. "Je ne vais pas te faire du mal, tu ne vois pas comment les petits frères sont si courageux? Viens leur montrer que toi aussi tu es un guerrier", tente de convaincre Konaté, en vain.

N'eût été l'intervention quelque peu ferme de son père, ce jeu du chat et de la souris n'allais pas aboutir. Intrépide aux coups de piqûre reçus, Moustapha résiste à l'anesthésie. L'exciseur, fragile avec son ciseau, se résout à éviter toute bavure à cause des sautillements rapides et saccadés de son client qui se tord de tourments. "Vous me faites mal, arrêtez docteur! Je vous en supplie", implore-til en pleurs, la voix pitoyable. Ses supplications paraissent ricocher sur le mur. Indifférent à cette "romance", Konaté s'ingénie à manier sa lame tranchante. Comme un robinet, le sang s'écoule sur les cuisses de Moustapha, efflanquées.

L'hémorragie s'enfle, vive et intense. "Quand je serai grand, je me vengerai" défie le souffrant d'un ton nasillard. Son interlocuteur esquisse, comme pour répondre à cette menace, un bref sourire qui démasque une denture nicotinique. Ses frères, flegmatiques sous e poids de la lésion qui les ploie, regardent la scène, les yeux plaintifs. Le pleurnichard ne se tire d'un mauvais pas que lorsque Konaté desserre l'étau en bandant, avec douceur et tendresse, la plaie ensanglantée.

Pansée, la contusion présente un gros pointu blanc qui laisse brandiller le gland.

 

Confinés dans leurs nouvelles tenues d'apparat, un grand boubou en percale assorti d'un béguin, les circoncis se relèguent faiblement sur leurs sièges-arrières du taxi, aigris mais stoïques. 

 

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13/09/2018
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