A mes tout petits talibés (2)
A mes tout petits talibés 50 à 200 000, pas moins.
Avec une population de 13 millions d’habitants, le Sénégal fait fort de compter un tel nombre d’enfants âgés de 3 à 14 ans qui vivent sans leur parents, et passent la plupart de leur temps à mendier dans les rues des villes du pays, exposés à tous les dangers dont celles-ci regorgent.
Chaque matin, des petits talibés entrent chez moi sans frapper, ils sont habitués à ma présence et savent qu'ils recevront à manger.
Le plus petit doit avoir à peine 6 ans. Leur gentillesse perle dans leurs regards.
La mendicité fait partie de mes réveils quotidiens
Dans leur écuelle jaune, la moisson matinale porte ses premiers fruits: du riz en vrac, des bonbons, un billet de 500 cfa... Les sénégalais sont très attentifs à leur pauvreté, ils leur offrent toujours le peu qu'ils ont, les restaurants leur donnent des trop-plein de nourriture. Chaque jour, je leur confectionne la nourriture du jour faite de ce qui nous reste au frigo, souvent pour éviter que tout se mélange dans leur écuelle jaune, il faut séparer le riz en vrac des autres aliments en le mettant dans une poche en plastic fermée.
Toute conversation est exclue : ils ne parlent ni le français ni le wolof mais l'arabe qu'ils apprennent en récitant les versets du Coran par coeur à la daara. Leur état physique semble bon bien qu'un jour j'ai vu des photos d'une dame qui déposait plainte à la gendarmerie: dos lacérés au couteau, plaies aux jambes...
Ils sont souvent vêtus de guenilles et ne se lavent jamais, leur regard est empli de tristesse, les sourires sont rares, l'enfance sacrifiée...
Pendant ce temps, le parlement sénégalais vote le budget annuel du Sénégal qui pour 2019 s'élèvera à quelque 5000 milliards de cfa (7,5 milliards d'euros)
Le budget fédéral belge tourne autour d'1,4 milliard...
S'il y a des personnes qui auront eu une nuit tranquille et souriante hier à Paris, en France, malgré les vestiges du passage des gilets jaunes, Macky Sall et son ministre de l'économie, des finances et du plan, devraient être placés en tête de peloton.
Cette semaine, le président Macky Sall était face au Groupe Consultatif de Paris, il espérait recevoir 2.850 milliards de Cfa. Les bailleurs de fonds lui ont accordé un pactole de 7.356 milliards... 14,68 milliards de dollars (ceci afin de réaliser la deuxième phase du PSE - plan Sénégal émergent - modernisation des infrastructures, de l'agriculture, des ressources pétrolières, de l'éducation...
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Banque européenne d'investissement : 420 millions d'euros
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Union européenne : 137 millions (4,25 milliards de Cfa)
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Bad (Banque africaine de développement): 2,3 milliards de dollars (2ème contributeur)
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Banque mondiale : 3,5 mililards de dollars (1er contributeur)
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Pnud (Programme des Nations Unies pour le développement) : 55 millions de dollars
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Banque isamique de développement : 1,25 milliard de dollars
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France : 1,5 milliard d'euros
C'est vrai, rares sont les pays qui ont pu afficher des taux de croissance de plus de 6% pendant plus de quatre années consécutives comme le Sénégal. Mais il faut tout faire pour que le secteur privé devienne le moteur de la croissance et de l'emploi.
La Chine et le Sénégal renforcent leur coopération dans le domaine des infrastructures
L' Union Européenne investit dans le secteur de l'eau et de l'assainissement.
Le Sénégal entretient des rapports étroits avec la Gambie, la Maurétanie et le Mali en matière de terrorisme. Le Japon investit dans l'énergie, l'Allemagne investit dans la fabrication de cartes bancaire, La Turquie et la Tunisie renforcent leurs liens économiques avec le Sénégal... Les Pays- Bas apportent leur logistique pour contrer la montée de l'océan, la Belgique investit dans le domaine médical...
Le Fmi encourage le Sénégal à « porter une attention redoublée sur l'accès à une éducation de qualité pour tous les enfants sénégalais et la réduction des mariages précoces et de la fécondité chez le adolescentes, tout en poursuivant les efforts sur la couverture des foyers les plus pauvres et les plus vulnérables en bourse familiale et en couverture maladie et autres services sociaux »
Pendant ce temps, la pauvreté ne cesse de s'installer dans les grandes artères de Dakar, les enfants talibés ne sont toujours pas retirés des daaras, les maladies endémiques ne sont toujours pas éradiquées (paludisme, fièvre jaune, peste) La mortalité infantile et maternelle n'est pas endiguée, l'océan englouti des habitations à St-Louis, les plages de Saly se réduisent à des peaux de chagrins, les grands complexes hôteliers face à l'Atlantique sont désertés par les touristes... des millions de jeunes sénégalais sont analphabètes sans travail, la manne providentielle servira à de grands travaux de prestige (élection présidentielle imminente de février 2019 - la lutte entre le parti au pouvoir et les partis d'opposition fait rage...)
Le Sénégal est le pays de la Téranga, l'hospitalité, son peuple vit dans la paix sociale que son président a majestueusement préservé. Le dialogue inter-ethnique et inter-religieux reste un modèle d'intégration pour l'Afrique entière et le monde...
La pauvreté ne naît pas de l'insuffisance des biens matériels,
elle est une pauvreté de l'âme,
elle s'enracine dans la solitude du coeur...
Les talibés – comme les appellent les Sénégalais – sont supposés étudier le Coran sous les auspices d’un maître, le « marabout », qui est censé les former à la dure pour réussir dans ce qu’ils entreprendront après leur sortie du "daara", l'école coranique. Et pourtant, la réalité des choses ne reflète nullement cet idéal éducatif venu d’un autre temps Les populations sénégalaises se convertirent pour la plupart à l’Islam à partir du 19ème siècle. Face à la puissance colonisatrice française, les chefs locaux considérèrent qu’il était plus important que tout de sauvegarder leurs coutumes, fût-ce au prix d’une conversion religieuse. Ils trouvèrent en l’Islam une religion dont les valeurs coïncidaient avec les leurs, et dans les leaders et un support solide dans la confrontation aux Français.
L’Islam apportait aussi aux chefs locaux une éducation alternative à l’enseignement obligatoire que la France tentait de leur imposer. Dès le départ, l’instruction coranique est donc la résistance au colonisateur et représentait une volonté de préserver des valeurs locales de l’influence des « écoles françaises », c'est à dire l’enseignement public sénégalais…Au départ, les daaras étaient uniquement situés dans le milieu rural. Les talibés travaillaient dans le champ du marabout en échange de quoi celui-ci leur fournissait une instruction musulmane, et prenait soin d’eux. La mendicité occupait alors une part minime du temps des enfants, son rôle était alors de leur apprendre la patience, l’humilité, et le partage, car ils devaient mettre en commun tout ce qu’ils récupéraient. Finalement, évoluant dans le village ou à sa proximité, ils restaient dans un environnement familier et peu dangereux. A l' l’âge adulte, le séjour au daara les talibés étaient prêts à s’intégrer dans la société.
Au courant des années 1980 et 1990, les crises économiques et agricoles secouèrent le Sénégal, A cause de la réduction des budgets dédiés à la santé, l’éducation, aux aides sociales et aux subventions agricoles, le tissu social traditionnel qui favorisait l’entraide perdit vite de sa substance. Au même moment, plusieurs sécheresses accablèrent l’intérieur du pays, réduisant la sécurité alimentaire et poussant un nombre croissant de parents à se défaire de leur nombreuse progéniture auprès des marabouts, plutôt que de l’école publique qui, bien que gratuite était accompagnée de nombreux coûts (transport, fournitures etc). Mais les marabouts étaient confrontés aux mêmes difficultés que les parents, et, très vite, ils délocalisèrent leur daara au sein des villes, où l’activité économique avait déjà repris.
Face à ce nouvel environnement, les daaras changèrent beaucoup : ne pouvant plus fonctionner sur la récolte du champ du marabout comme c’était le cas à la campagne, il fallait que les talibés passent plus de temps dans la rue afin de récolter assez d’argent et de nourriture. En ville, les talibés sont exposés à toutes sortes de dangers : accidents de la circulation, trafic de personnes, brutalités…
Loin de leurs familles et encore jeunes, ils ont peu de repères ou de moyens de se défendre en cas d’abus dans la rue ou de la part du marabout. Ce dernier, d’ailleurs, n’est plus confronté à la pression sociale qui dans le village le poussait à réellement enseigner quelque chose aux enfants et à prendre soin d’eux. La combinaison de la hausse des prix des denrées, du logement et de l’absence de supervision des daaras fait que le sort des enfants dépend entièrement du marabout qui l’encadre.
Des marabouts peu scrupuleux s’enrichissent sur le dos des enfants, tout en cachant la vérité aux parents. Les maltraitances des talibés sont indéniables et inacceptables dans une société comme le Sénégal qui se dit "le pays de la téranga"
Dans un article du 26 mars 2018 intitulé " Enfants de rue, le retrait reprend aujourd'hui", la ministre chargé de l'enfance annonçait que ces enfants retirés de la rue seraient logés dans les daaras internats avant d'être ramenés à leur famille, ceux en rupture avec leur famille seraient conduits dans des centres d'accueil.
Dans un article du "Soleil" paru le 29 novembre 2018, on parle de "23 jeunes gens retrouvant leur famille" La ministre de la protection de l'enfance indique: la place de l'enfant n'est pas dans la rue mais en famille à côté de leurs parents... l'Etat du Sénégal, déterminé à retirer les enfants de la rue, ne lésinera sur aucun moyen" dont acte...
On sait aujourd'hui que ces promesses étaient creuses et que les enfants de rue au Sénégal ne sont pas disparus...mais sont toujours entrain de mendier leur pain quotidien dans les rues de Dakar et des autres villes: une honte à l'enfance des hommes, un esclavage qui n'a pas de nom!
Texto presse de ce 18 décembre 2018
Capitulation de l'Etat face au lobby des maîtres coraniques,
exploiteurs indécents des talibés
L'Etat a honteusement capitulé dans sa croisade contre la mendicité, la maltraitance des talibés, en vue de la modernisation des daara, par opportunisme politique, devant ceux-là qui vivent indécemment de l'exploitation des innocents petits talibés.
En vérité, ce sont certains maîtres coraniques , ligués avec quelques arabisants qui sentent le danger de la perte imminente de leurs privilèges illicites, si, toutefois l'application des mesures salutaires prévues par l'Etat, devenait effective.
Pour cette raison, ils se coalisent et manoeuvrent avec certains milieux maraboutiques pas regardant du tout sur les graves déviations et manipulations de ces maîtres coraniques à des fins strictement personnelles.
Alors, sachant combien les musulmans sont sensibles à leur religion, ces individus, mus par l'appât du gain, s'engouffrent dans cette brèche pour exploiter la fibre religieuse des profanes non imprégnés des règles prescrites par la religion musulmane.
Ces derniers se laissent ainsi abuser et induire en erreur par ces individus que certains prennent pour des saints, simplement parce qu'il maîtrisent la lecture du Coran.
Au Sénégal, nous savons tous, l'extrême sensibilité que revêt, pour les musulmans, toute question relative à leur religion.
Voilà pourquoi ces individus saisissent cette opportunité comme couverture et la brandissent comme une arme redoutable passant ainsi "pour des soi-disant défenseurs intransigeants de la religion musulmane."
Ils utilisent ce fallacieux prétexte pour s'opposer à la modernisation des daaras. Modernisation, qui selon eux, n'est rien d'autre que de combattre l'islam au Sénégal.
A la vérité, il n'en n'est rien de tout cela.Cette cohorte ne cherche qu'à conserver un pouvoir qui lui procure des privilèges et intérêts sous le couvert d la religion musulmane. Des intérêts que de tels gens tirent , honteusement, de l'exploitation de nombreux enfants qui leur sont confiés pour apprendre le Coran, par des parents qui fuient leur responsabilités d'éduquer, eux-mêmes, leurs propres enfants, à défaut de les mettre à l'école publique.
A présent, l'Etat doit prendre toutes ses responsabilités pour mettre fin à cette pratique esclavagiste, spécifiquement sénégalaise, mais qui ne dit pas son nom et n'a rien à voir avec l'islam et qui ne fait que ternir son image.
Une telle pratique lui est totalement étrangère, parce qu'elle n'existe nulle part ailleurs qu'au Sénégal. e système d'exploitation des talibés , véritable entreprise économique, est si juteux au Sénégal que certains pays limitrophes viennent y faire campagne.
Et pour avoir plu d'enfants à leur disposition à exploiter, ces individus brandissent l'argument fallacieux selon lequel, l'école publique est, pour nos enfants, une voie de perdition. Cr selon eu, elle empêchent à ceux qui la fréquentent, d'assimiler correctement leur religion et, en conséquence, d'être de bons musulmans pratiquants.
Naturellement, c'est archi faux! En vérité ceux qui avancent de telle mystifications ne sont autres que les bénéficiaires du système et vivent grâce à leur exploitation des talibés, en privant ces derniers d'aller à l'école...
Des statistiques fiables peuvent prouver qu'aujourd'hui la majorité des musulmans du Sénégal ne sont pas passés par les daaras et ils n'n sont pas pour autant, moins connaisseurs ou moins bons pratiquants de leur religion, que ceux qui y ont transité.
Parmi les généreux donateurs qui, aujourd'hui, entretiennent, de façon désintéressée, des mosquées, aident des foyers de charité à mieux vivre
les démunis sociaux ainsi que les écoles coraniques modernes dans lesquelles les talibés mènent une vie décente, la majorité ne sont pas des ndongo diaraas.
Il faut donc poursuivre la modernisation des daraas pour l'intérêt général des enfants et non des intérêts cupides d'une minorité exploiteuse d'enfants d'autrui. Des enfants à qui l'on n'apprend rien d'autre que mendier pour avoir un avenir incertain.
Parmi tous ces marmots qui dorment sous les rigueurs du froid sans couverture, il y a de génies qui sommeillent que l'on est entrain d'étouffer. (Mandiaye Gaye, le Walfquotidien 17 déccembre 2018)
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