Lilyan Kesteloot est partie rejoindre Senghor
L'annonce du décès de cette talentueuse femme belge s'est répandue à travers tout le Sénégal comme une giboulée d'automne.
Elle a partout offert sa disponibilité intellectuelle au service de l’Afrique. Son décès, le 28 février dernier, à Paris, arrachait au monde littéraire africain une figure monumentale incontestable à tout point de vue.
Elle voit le jour à Bruxelles en 1931, passe son enfance et son adolescence au Congo colonial.
En 1955, elle obtient une licence en philologie romane à l'université de Louvain avec un mémoire sur Georges Bernanos.
En 1961 elle obtient un doctorat à l'ULB avec une thèse sur "les écrivains noirs de langue française, naissance d'une littérature"
En 1968 elle publie un essai sur "négritude et situation coloniale" réflexions sur la fierté noire de Senghor.
Pendant 60 ans, elle sillonnera l'Afrique .
Elle enseigne à l'Ecole Normale de Yaoundé, puis au Mali, puis en Côte d'Ivoire puis à l'université Cheikh Anta-Diop de Dakar où elle est appelée par Senghor et devient directrice de l'IFAN (Institut Fondamental d'Afrique Noire
Elle fut chercheur, critique littéraire, professeure d'histoire littéraire et de littérature orale.
En 1975 elle publie une vaste thèse en 11 volumes: "Etudes sur la littérature africaine francophone et traditionnelle"
Elle est une passionnée de "La Civilisation Universelle", pour une humanité réconciliée.
Hommage d'Amadou Lamine Sall
Elle fut la professeure du plus grand poète sénégalais actuel, Amadou Lamine Sall qui lui dédie un vibrant hommage en sa mémoire.
"Une femme qui a tout donné à la noblesse de l'esprit, une femme ivre de découvertes, ivre de rencontres et de métissages, ivre de liberté, ivre de travail, ivre d'idéal, ivre d'aller au fond des terriers d'or et d'en extraire pour nous les secrets de l'alchimie de la création littéraire négro-africaine."
"Lilyan était d'abord une africaine. Toute sa vie durant, elle a fait de l'Afrique, de ses écrivains, de ses poètes le lieu même de son bonheur de chercheuse"
"Dans mes séances de lecture avec Senghor, il me ramenait toujours dans le couloir aérien de ses si prodigieuses métaphores et figures de style, dont lui seul avait le génie"
"C'est cette femme, cette enseignante-chercheuse, cette découvreuse de talents, cette couveuse de créateurs dont je salue la mémoire"
"Cette femme venue d'Europe, mais devenue africaine, mariée à un africain, formant des africains dans des universités africaines nous a apporté un excédent de valeur et de foi en nos propres cultures et littératures.
Qu'elle puisse un jour voir de là où elle dormira désormais pour l'éternité son nom inscrit dans la pierre de l'Ucad, là où la lumière dit, éclaire et couve l'esprit"
(Amadou Lamine SALL est poète et lauréat des Grands Prix de l'Académie française) Saly, le 28 février 2018
Hommage de son élève, Amadou LY, professeur à l' LFSH/UCAD de Dakar
"Tu ne viendras pas te reposer parmi ceux que tu as choisi pour être les tiens, ta famille la plus nombreuse,celle du coeur et de l'esprit. Toi, la sage-femme qui a accouché l'Afrique d'un de ses enfants, appelé Littérature francophone. Ces derniers temps j'ai été ton dernier correspondant sur cette terre, tu m'as confié ton épuisement, et redit ton désarroi. Je t'ai conjurée de tenir bon, de ne pas lâcher la rampe, et de revenir ici, chez toi, où il fait bien plus chaud que là...dans les froidures boréales."( Ton Xarit benn bakkan)
"Maintenant le foyer que tu avais allumé pour faire la lumière de "notre" reconquête, de "notre" histoire,de "notre" identité, de notre moi profond, pour la libération et le rapatriement de notre pensée, s'est éteinte. En hommage à ta mémoire, il faudra bien qu'on essaie de rallumer et d'entretenir le feu..."
Le berger de la mer
Gloire et lumière sur
Seydina Limamou Laye
A Mame Rane
Pour les moments inoubliables
passés ensemble
La mer s’est tue
et il s’est avancé dans le silence de la nuit…
La grève s’étendait longue vaste lumineuse
et le sable à ses pieds s’est mis à chanter
la lune s’est faite plus belle
et pour qu’on la voit plus belle encore
elle est venue se percher sur ses épaules
la mer alors a repris sa musique
car elle aussi voulait qu’on l’entende
et les vagues se sont étalées
comme des pagnes sonores à ses pieds
à ses pieds la mousse est venue caresser ses orteils
pour goûter au parfum de son corps
La mer toujours la mer aux portes
ouvertes de ses désirs
la mer fidèle à ses pas fidèle à ses songes
la mer gardienne de la mémoire de son peuple
toujours elle toujours lui
les rivages qui attendent la saison de ses yeux
l’horizon accoudé à son front
le bleu de la mer le bleu de son immense cœur
son turban noir la Gloire de la Pierre Noire
son turban noir la grandeur du
Signe des peuples noirs
son turban blanc la lumière insoumise
de sa mission solaire
Limamou Laye l’être à qui
tous les cadrans de la mer sont soumis
Que la paix et les champs d’espoir
que tu as labourés sur terre te soient rendus
toi à qui Dieu a donné à lire le cœur pourri du Blanc
et l’aube t’a ouvert tôt les portes du petit matin
Tu as ainsi laissé tes poursuivants des jours et
des jours boire toute leur sueur
Et la mer toujours la mer chantait tes louanges
et Gorée à la souffrance audible qui aussi chanta
son bonheur quand tu franchis l’île
Gorée te voulait habitant éternel
citoyen de fécondité pèlerin de la pluie
sentinelle du bonheur
et la porte qui se referma sur toi
ferma à la fois le ciel et la mer
la terre jura de s’ouvrir
l’île jura de n’être plus une île
les vents de toutes les mers
affluèrent avec tous leurs bagages
alors tes geôliers eurent plus que peur
qui croyaient faire de Gorée ta tombe
Gloire à toi Limamou Laye
Gloire à toi fils de l’eau et du ciel
Gloire à toi qui fis des terres de l’océan
la demeure du puits d’eau
douce au parfum de Médine
Gloire à toi qui fis s’agenouiller
la mer là où tu as voulu qu’elle s’agenouille
et pour veiller sur ton pacte avec elle
tu as choisi de l’habiter car tu dors dans son lit
corps vivant et odorant
trempé dans la chair de l’eau
mais debout beau et ensoleillé
saveur de datte du soir sur les Almadies et
lait de jouvence sous le silence du sel
Gloire à toi Limamou Laye
Gloire à toi qui fais voyager
les habitants profonds de l’océan
jusqu’aux portes fraîches de Cambérène
Cambérène… un nom devenu
si moelleux sur toute langue
Cambérène si clair sonore comme ton nom Laye
Si clair sonore ton nom chantant
comme une flûte foulbé montant d’un vallon
Cambérène sel et pourpre sourire et prière
Gloire à toi Limamou Laye
Gloire à toi qui donnes aux mammifères de
boire à l’eau douce à la
verticale du mausolée où tu reposes
car les baleines porteuses accourues au
bout des lointains continents savent bien que c’est là
qu’elles libèrent sans douleur leurs bébés bleus
Gloire à toi
Gloire à toi à qui il est donné de
commander l’heure des marées
d’eau de séane à l’océan et l’océan acquiesce
Gloire à toi
toi l’arbre béni de l’homme noir
Gloire à toi qui rends si belle et si fière la race
toi qui donnes si fort à l’homme noir
les armes qui sied à sa grandeur
Gloire à toi par qui l’est demain
rejoindra demain l’ouest
toi pour qui les oracles ont
dessiné les lieux de la Résurrection
Gloire à toi par qui et pour qui
les Ecritures ont révélé de nouveaux oasis
et nous savons combien demain le désert
s’ouvrira sur un océan sans fin
combien notre soleil donnera
le plus rafraîchissant des abris
combien notre chemin mènera
à des paradis choisis
combien nos yeux toucheront
à des espoirs jamais rêvés
combien nos mains caresseront
des fruits enivrants jamais portés par un arbre
jamais nourris par une terre connue
Gloire à toi Limamou Laye
toi que chanteront très loin dans le temps
les hommes et les bêtes
Et si demain
comme les Tablettes le murmurent
tu revenais de la terre et de l’eau
alors que le soleil se lèverait à l’ouest des quatre îles
relis sur les visages de ton peuple
les fils des fils de leurs fils
l’amour infini que tu as laissé dans leur cœur
et l’espérance qui à l’hivernage de tes prières
a tant nourri leur âme et leur corps
Gloire à toi le Berger de Yoff Layène
Gloire à toi le dompteur d’océan
à qui l’océan a ouvert sa maison
Gloire à toi qui as tracé à la mer les limites de l’offense
pour que tes enfants n’aient plus à
craindre son courroux
et tu sais que des frontières de ton désir
la mer a fait un lieu de soumission
Gloire à toi Limamou Laye
Mille Gloires à Dieu Le Suprême du Suprême
Gloire et Gloire encore
à Mohamed le choisi d’entre tous notre étoile à tous
Gloire à Leurs Lumières qui ont éclairé tes lumières
et le pont de tisons que tu as bâti pour tes enfants
éclaire leur chemin bien loin
alors que l’océan dorlote malicieuse les
bancs de poissons s’attardant dans le
lit des courants chauds
à la verticale du mausolée où tu reposes
Gloire à toi Limamou Laye
et que dans la longue nuit de ton sommeil éveillé
auprès des chapelets d’or
tu accueilles mon ami Mame Rane
Mame Rane parmi ton sang le plus étoilé
Mame Rane ô si beaux ses yeux
si beaux si purs les yeux pénétrants de Mame Rane…(Amadou Lamine SALL)
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