Les moutons de mon papa
Ce 11 août 2019, les sénégalais fêtent la TABASKI en mémoire du sacrifice d'Abraham.
Dans chaque famille sénégalaise, le ou les pères font tuer - sacrifier - un mouton, il n'est pas du tout rare que l'on tue jusqu'à six moutons dans une même famille. Le programme de la journée débute à la mosquée vers 14 heures, suivi directement de l'abattage des bêtes, rôle dévolu aux hommes, ainsi que la découpe des bêtes... crépitement des machettes de toutes parts...
On sacrifie un mouton mâle, s'il n'y en n'a pas, on prend un mouton femelle. En cas de carence de moutons, on prend un bouc ou chèvre mâle, ou une chèvre femelle, sans chèvre, on prend un zébu mâle, ou un femelle, s'il n'y en a toujours pas, on peut prendre un chameau ou une chamelle, dans le cas de ne posséder aucun de ces animaux, on est absout de sacrifice...
Cette année le Sénégal aura besoin de 750.000 moutons, les autorités redoutent l'insuffisance pour satisfaire la population: la plupart des bêtes viennent de la Maurétanie voisine, la transhumance est cette année rendue plus difficile par les troubles au Mali voisin...
L’Aïd el Kebir, communément appelé Tabaski au Sénégal, est cette grande fête musulmane de commémoration du sacrifice d’Abraham.
Commentaire:
Ici, à deux semaines de la grande fête, tout s'anime: partout des enclos avec ces beaux moutons, en pleine ville, le long des routes, partout, des vendeurs attendent les clients. Rien qu'à Matam, petit quartier de Dakar 15000 moutons attendent preneur...Il faut voir comment les éleveurs aiment et soignent leurs bêtes qui sont comme leurs enfants, des jeunes proposent 1000Cfa 1,50 euro pour laver chacun d'eux, ils sont frais comme la neige immaculée avec des taches qui dessinent des continents noirs sur leur belle fourrure blanche.
Ici, les hommes et tous les animaux sont solidaires, ici, en temps normal des troupeaux de buffles, de moutons, de chèvres se promènent allègrement dans le ruelles des cités, chacun connaît son itinéraire par coeur, de temps à autre aussi, des cochons esseulés, parfois quelques antilopes... la surprise de chaque jour.
Je me souviens dans ma petite enfance des moutons de mon père, j'adorais les chevaucher en tirant leur queue...
Quelque part ce souvenir fait que le mouton est resté mon animal préféré.
Ah, ces brebis de mon enfance innocente! Elles ne m'ont jamais quitté...
Moutons de Montignac
Peul-peul, mon amour
Le mouton d'hier...C'était quoi? Un animal domestique, parfois errant dans les rues comme un mendiant, la laine sale, broutant poubelle et restes de repas. Si d'aventure, il trouvait un gîte, c'était un enclos misérable rafistolé au bois mort, surmonté d'un vieux zinc, aussi étanche qu'un tamis. Le pauvre prenait une douche une fois le mois. Ca se faisait dimanche matin : corvée de gosses récalcitrants, privés d'une partie de foot avec leurs amis qui déversaient leur bille sur l'herbivore...
Dans cet album de famille des moutons d'hier, il y a les peul-peul: cette race de mouton intenables, agités, qui ont pratiqué l'exode rural en troupe, parce que là-bas l'herbe se faisait rare. Tous ces moutons avaient un point commun: ils étaient plus ou moins accessibles à la bourse du sénégalais moyen, celui qui trime chaque jour pour entretenir sa famille, payer son loyer et ses factures...
Aujourd'hui, le mouton a acquis ses lettres de noblesse. Dans les enclos modernes ( avec électricité, wifi et caméras de surveillance) entretenus comme des palais, la bête porte de noms princiers et précieux.
Il y a une race de moutons élus: les Ladoums(1), les Azawat(2), les Bali-bali(3)... Leur prix varie jusqu'à plusieurs millions...
Dès leur tendre enfance, ces animaux s'échangent à coup de millions! Leur arbre généalogique est suivi de près sur plusieurs générations. Leur régime alimentaire est fait à base de farine et de ferment, rien à voir avec les moutons d'antan qui se nourrissaient des restes de repas qui leur fourguaient de diarrhées chroniques.
Mais qu'ils soient de bonne famille ou bâtards, tous les moutons finiront dans la marmite.
Dans son livre merveilleux intitulé "Sous l'orage" que j'ai lu, Seydou Bodian évoque la mémoire de son père:
"Le père Benfa était fier de son mouton, les vieux du quartier l'admiraient, il était bien nourri et propre. Il accompagnait souvent son maître dans la rue et ne le quittait pas d'un pouce.
Le père Benfa le caressait jalousement et devenait furieux lorsque les enfants s'amusaient à faire tinter la clochette que son mouton portait au cou.
A plusieurs reprises, des marchands avaient offert de fortes sommes au père Benfa, mais il ne voulait à aucun prix se séparer de son mouton, car l'embonpoint de ce dernier témoignait de la bonne chère dont jouissait la famille.
Le père Benfa faisait voir son mouton à tous les visiteurs:
"il y a seulement six mois que je l'ai acheté,
il était aussi maigre qu'une biche; à présent, voyez-le, dans un an, il ne pourra plus passer la porte."
Ce mouton était si choyé par le maître qu'aucune d ses femmes n'osait se plaindre
quand l'animal leur mangeait de la farine
de mil ou des brisures de manioc."
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