Les enfants perdus de M'Bour
Dans un Sénégal en proie à une grave crise économique, les enfants sont en première ligne. Ceux dont les parents sont trop pauvres sont placés dans des « daaras », écoles coraniques sévères et brutales. Là, ils deviennent des « talibés » et doivent apprendre par cœur un Coran auquel ils ne comprennent pas grand-chose.
Ils sont des dizaines, entassés dans une pièce sombre aux briques saillantes, vestige d’un chantier jamais terminé. Cinq à dix ans, pas plus. Ils tiennent dans leurs mains une tablette en bois parcourue des mots du Coran. De leurs gorges d’enfants montent des versets auxquels ils ne comprennent rien. Leurs voix se mêlent et s’entrechoquent dans une cacophonie aiguë qui a tout d’une interminable plainte. Au milieu d’eux, un enseignant longiligne guette la faute. Une fine ceinture de cuir repose sur son épaule, comme un rapace menaçant. A la moindre syllabe écorchée, il fond sur le coupable, frappe à la tête, ou l’épaule, avec un sinistre claquement. La brûlure est vive, l’enfant frotte la douleur pour en chasser le mauvais génie. Mais il ne s'arrête surtout pas de psalmodier. Jamais. Il bouge la tête comme une pendule, l’épuisement menaçant à chaque instant de le faire sombrer. L’atmosphère est étouffante. La prière collective insupportable. Soudain, le maître annonce la fin de la séance : « Maintenant, allez mendier. » Les enfants se munissent d’une gamelle et filent dans les rues de M'bour, ville de la côte du Sénégal. Neuf heures de Coran et huit heures de mendicité. Ainsi va la vie des talibés.
L’école coranique qui les accueille, au port de M’Bour où ils accomplissent les plus basses œuvres. L’Unicef estime leur nombre à 100 000, un chiffre qui monte à 300 000 pour une ONG sénégalaise. Ils viennent de l’intérieur des terres, régions trop pauvres pour assurer leur avenir. Les parents qui ne peuvent pas assumer leurs petits les envoient dans ces écoles où, au moins, ils auront de quoi se nourrir. Au Sénégal, on s’offusque peu du traitement qu’ils y subissent. La dureté des daaras est une bonne formation pour qu’ils puissent « affronter la réalité de ce monde », comme le juge un imam. Durant la journée, les talibés vont chercher de quoi assurer un revenu à leur maître, le marabout. Les Sénégalais donnent sans retenue monnaie et nourriture. Quand les gamelles sont remplies, ils les ramènent dans leur école. Les maîtres se partagent les meilleurs morceaux, les enfants mangent le reste. Autrefois prestigieux, le rôle éducatif des marabouts est de plus en plus contesté. Certains en ont fait un véritable business et ont sous leurs ordres des centaines de gamins, souvent maltraités.
En fait de formation, les daaras sont surtout des écoles de la déformation. Les enfants n’apprennent rien d’autre que le Coran. Au terme de leur parcours, ils sont censés pouvoir le réciter par cœur, du début à la fin, en une traite, durant toute une journée. Un exploit qui a son prestige mais ne sert absolument à rien. Une fois dehors, les jeunes adultes que les talibés sont devenus ne savent faire qu’une chose : mendier. Et c’est souvent ce qu’ils continuent à faire pour survivre. Ceux qui fuient la dureté des daaras ne sont pas promis à un meilleur avenir. Esseulés dans un pays affamé, ils sont exposés à la violence et à la drogue. Rassemblés dans des ghettos à la bordure des villes, ils tentent d’oublier le passé et le présent en « sniffant le guinz ». L’avenir, ils l’espèrent très loin du Sénégal. Etalé sur plusieurs visites, l On observe, parfois, une amélioration qui offre un peu d’espoir. Dans la région de Khoungheul, les talibés ont été affectés aux tâches agricoles. Ils apprennent ainsi une activité utile et cultivent eux-mêmes leur nourriture. Un cas qui a malheureusement tout d’une exception. Dans les grandes villes, les daaras sauvages se multiplient. Les talibés continuent de prier.
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