L'enfance assassinée
Dans l'Afrique enchanteresse, il y a aussi l'histoire des talibés
Les talibés : Véritable fléau national, le scandale des talibés a ému la communauté internationale depuis des années. Les talibés* sont des enfants issus la plupart du temps de familles musulmanes miséreuses et placés par les parents chez un petit marabout escroc qui en échange d'une pseudo-instruction coranique, du couvert et du logis, sont censés recueillir l'aumône dans la rue quelques heures par semaine. La réalité est toute autre. Certains marabouts accueillent plusieurs dizaines d'enfants parfois d'à peine 4 ou 5 ans, les maltraitent, ne les soignent pas, les nourrissent au lance-pierre et les font mendier 7 jours sur 7, durant toute la journée, voir même la nuit. Le résultat est éloquent : les milliers d'enfants en haillons, mal nourris, sales, pied-nus, souvent malades qui courent les rues à la recherche des quelques CFA qui leur permettront de ne pas se faire corriger physiquement par leur tortionnaire en arrivant "à la maison".
Combien sont-ils? Les ONG évaluent leur nombre à plus de 150 000 à travers le pays. Ces pauvres enfants fournissent évidemment dès l'adolescence l'essentiel de la criminalité du pays. Comment en serait-il autrement quand arrivés à 15 ans, ils n'ont appris aucun métier, ne savent ni lire ni écrire (pas même l'arabe d'ailleurs...) et ont rompu les liens qui les unissaient à leur famille ? Ce scandale typiquement sénégalais poussent des centaines de milliers de gosses à une misère certaine et le pays à devenir un coupe-gorge à brève échéance.
Encore une fois, il est important de souligner le caractère forcément religieux du problème des talibés ainsi que son caractère régional, n'en déplaise aux bien-pensants et aux politiquement corrects : les communautés casamançaises n'envoient que très rarement leurs enfants à cette petite mort, qu'ils soient musulmans ou non. Les quelques rares talibés de Ziguinchor sont d'ailleurs issus de familles du Nord du Sénégal. Il en est de même pour les musulmans orthodoxes du pays, principalement les Peulhs.
Le problème des talibés est donc principalement un problème confrérique car d'autres pays musulmans de la sous-région, autrement moins bien lotis économiquement, ne connaissent pas ce phénomène de mendicité enfantine tel que le connaît le Sénégal. Le mot talibé s'applique également et plus généralement aux adultes, insérés dans la société, disciples de marabouts. 50 000, pas moins. Avec une population de 13 millions d’habitants, le Sénégal fait fort de compter un tel nombre d’enfants âgés de 3 à 14 ans qui vivent sans leur parents, et passent la plupart de leur temps à mendier dans les rues des villes du pays, exposés à tous les dangers dont celles-ci regorgent.
Les talibés – ainsi que les appellent les Sénégalais – sont supposés étudier le Coran sous les auspices d’un maître, le « marabout », qui est censé les former à la dure pour réussir dans ce qu’ils entreprendront après leur sortie du daara, ou école coranique. Et pourtant, la réalité des choses ne pourrait être plus éloignée de cet idéal éducatif venu d’un autre temps. Pour mieux comprendre le fossé qui sépare l’imaginaire du daara de sa réalité, enfourchons notre machine à remonter le temps pour explorer les origines de ce fait social. La vie après le daara.
Au-delà même des questions de la vie au daara se pose la question de la vie après le daara : que faire dans la vie si l’on ne parle pas français (la langue officielle au Sénégal) et que l’on ne possède que peu de compétences professionnelles ? Les meilleurs deviennent marabouts à leur tour, où encore enseignants d’arabe, mais qu’en est-il du reste ? Durant toute leur enfance, âge où l’on apprend la vie en société, ils furent à l’écart de tous, à cause de leur odeur, de leurs vêtements et de la peur des parents des autres enfants. Il leur manque aussi les compétences nécessaires à la recherche d’un emploi, fût-il précaire ! La jeunesse d’aujourd’hui est la société de demain, dit-on. Quel genre de société construit-on ainsi ? Il ne faut pas se leurrer, une éducation musulmane se doit d'être complétée de compétences techniques ! La vérité, c’est que si une fois à l’âge adulte ces talibés se retrouvent sans compétences, ni emploi, ils seront perdus pour la société, et iront grossir le lot des hors-la-loi qui rendent les villes sénégalaises de plus en plus dangereuses.
Ainsi, d’une période d’apprentissage de la vie en société, le passage au daara est devenu un centre de fabrication à la chaîne de futurs exclus sociaux… Mais que font les Sénégalais, et l’Etat sénégalais ? Talibés, la défaite de la société sénégalaise A vrai dire, il semblerait que tout le monde profite du statu quo sur la question des talibés. Tandis que les parents des talibés se débarassent d’un fardeau jugé trop lourd, les marabouts s’enrichissent sans efforts. Même les « bons samaritains » qui donnent des offrandes aux talibés s’acquittent par la même occasion de leurs devoirs de musulman voire même, ô surprise, des offrandes recommandées par leur marabout afin de chasser les mauvais esprits.
L’Etat, quand à lui, tente tant bien que mal de montrer sa bonne volonté en signant et ratifiant tous les textes proposés par les organisations internationales et les ONG, tout en se gardant bien de les appliquer, de peur de réveiller la fureur des confréries religieuses. En 2012, l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade tenta tant bien que mal de rendre illégale la mendicité en ville. Mais la loi fut si mal accueillie par les autorités religieuses et la population que la législation fut retirée moins de trois mois après sa mise en application. Pour les Sénégalais, donner l’aumône fait partie de l’ordre des choses, que ferait-on s’il n’y avait plus de talibés ? Comment pourrait-t’on s’attirer la réussite et éviter d’être marabouté par des envieux ? Bien qu’elle s’offusque des traitements infligés aux talibés, la société sénégalaise ne semble pourtant pas si encline que cela à perdre la possibilité de donner l’aumôme…
Bien entendu, il y a beaucoup de « faux » marabouts, mais dit-on « la plupart enseignent le Coran aux enfants », et puis, il ne faut pas critiquer ce qui se rapporte à la religion, « cela ne peut rien nous apporter de bon ». Alors on continue d’oublier la souffrance silencieuse de ces pauvres enfants, et l’on ferme les yeux sur des atrocités d’un autre âge. Le rôle des religieux Quand aux chefs religieux, ils se gardent bien de lutter contre ces daaras, qui constituent leur réseau de présence au niveau local, et leur permet par la suite d’enrôler ces jeunes sans avenir parmi les rangs de leurs fervents supporteurs. Ceux-ci suivront à la lettre le ndiguel, ou orientation politique proposée par le chef religieux. Les talibés seront aussi les premiers contributeurs aux projets lancés par les chefs religieux, en échange de quoi ces derniers leur fournissent les aides que l’Etat ne semble pas pouvoir apporter (logement, nourriture, vêtements, femme !) .
Ainsi, les confréries religieuses gardent un rôle important tant en politique que dans la société (voir la partie 1 et la partie 2 d'un article de Nicolas Simel Ndiaye consacré à ce sujet). Propositions Il ne s’agit pas aujourd’hui de rompre cet équilibre social qui s’est créé. Plutôt, il faudrait une recherche de solutions préparées afin d’améliorer le quotidien et le futur des talibés. A cet effet, j’aimerais proposer deux mesures. La première serait la création d’un label de « bon daara » par les autorités religieuses et la confréries, en accord avec l’Etat et la société civile. Un tel label permettrait aux parents des talibés de remettre leurs enfants à un « bon marabout ».
On pourrait ainsi cartographier les daaras et s’assurer que ceux possédant le label soient encouragés et que les enfants y bénéficient de meilleures conditions de vie et d’une formation professionnelle. D’autre part, il faudrait supporter les daaras ruraux, en les aidant à mettre en place des activités génératrices de revenus, afin de limiter l’exode rural des populations jeunes, qui sont censées constituer la force du secteur agricole très peu motorisé du Sénégal. Quelle société peut se dire moderne si elle ne prend même pas soin de ses enfants ?
(Dakar) – La récente initiative du gouvernement sénégalais visant à retirer de la rue les enfants y compris ceux qui sont forcés de mendier par leurs maîtres coraniques constitue une étape importante dans la réforme d'un système d'exploitation profondément enraciné dans les habitudes, ont déclaré aujourd'hui Human Rights Watch et la Plateforme pour la promotion et la protection des droits humains (PPDH), une coalition de 40 organisations sénégalaises spécialisées dans la défense des droits de l’enfant. Ces organisations ont exhorté les autorités à maintenir l'élan de ce mouvement en ouvrant des enquêtes et en engageant des poursuites judiciaires à l'encontre des maîtres coraniques et d’autres personnes qui commettent ces types de violations graves des droits de l’enfant. Lors des six premiers mois de l'année 2016, au moins cinq enfants qui vivaient dans des écoles coraniques résidentielles sont morts, prétendument après avoir été battus par leurs maîtres, aussi connus sous le nom de marabouts, ou dans des accidents de la circulation alors qu'ils étaient contraints à mendier. En 2015 et en 2016, des dizaines de ces enfants, appelés talibés, ont également été sévèrement battus, enchaînés et victimes d'abus sexuels ou d'agressions violentes alors qu'ils mendiaient. Ces décès et les autres abus commis mettent en lumière combien il est urgent que le gouvernement sénégalais punisse les personnes responsables d’abus et réglemente les écoles coraniques traditionnelles, appelées daaras. « Les talibés ont souffert d'abus et ont été exposés à des dangers qu'aucun enfant ne devrait avoir à affronter », a déclaré Corinne Dufka, directrice adjointe de la division Afrique à Human Rights Watch. « Bien que les récentes mesures prises par le gouvernement soient louables, retirer les talibés des rues ne conduira pas à des changements sur le long terme si les écoles coraniques ne sont pas réglementées et si les maîtres qui ont commis des abus ne sont pas amenés à rendre des comptes. » Les talibés ont souffert d'abus et ont été exposés à des dangers qu'aucun enfant ne devrait avoir à affronter. Corinne Dufka Directrice adjointe de la division Afrique, HRW Le 30 juin 2016, le président de la République du Sénégal, Macky Sall, a ordonné que tous les enfants des rues soient retirés de la rue, placés dans des centres d’acceuil, puis rendus à leurs parents. Quiconque les forcerait à mendier serait passible d'une amende ou d'une peine de prison, a-t-il averti. À la mi-juillet, les autorités avaient retiré plus de 300 enfants – dont de nombreux enfants talibés et des talibés qui avaient fui – des rues de Dakar. Selon des activistes et des médias locaux, plusieurs autres régions ont également commencé à appliquer cette initiative, que les autorités prévoient d'étendre à tout le pays. Bien que le nombre d’arrestations de maîtres abusifs ait légèrement augmenté au cours de l'année écoulée, le Sénégal n'a porté devant les tribunaux qu'un petit nombre d'affaires, pour la plupart relatives à des décès ou à des formes d'abus les plus extrêmes; la pratique de la mendicité forcée des enfants ne fait presque jamais l'objet de poursuites judiciaires. Human Rights Watch et la PPDH ont également noté l'existence d'un besoin urgent de services juridiques d'accès facile pour aider les enfants talibés devenues victimes à obtenir justice.
Parmi les affaires documentées par Human Rights Watch en 2016:
En janvier, à Diourbel, un homme aurait attiré quatre talibés dans sa maison et les aurait violés. En février, un talibé âgé de 9 ans a été battu à mort par son maître coranique dans la ville de Louga. Vers la même date, un talibé aurait été violemment agressé par un inconnu dans une rue de Colobane, un quartier de Dakar. Également en février, un marabout de Diourbel, arrêté pour avoir mis des fers aux pieds de plus d'une dizaine de talibés, a été remis en liberté sans qu'aucun chef d'accusation ne soit retenu contre lui.
En mars, un maître coranique aurait tenté d'enterrer un talibé sans autorisation au cimetière de Thiaroye à Dakar. Également en mars, un talibé aurait été enlevé dans une rue de Dakar; son sort demeure inconnu. Deux talibés sont morts après avoir été heurtés par des voitures alors qu'ils mendiaient dans les rues de Saint-Louis, en mars et en avril.
En avril, à Saint-Louis, l'assistant d'un maître aurait battu un talibé âgé de 7 ans, le laissant dans un état critique. En juin, un talibé âgé de 13 ans est mort dans l’arrondissement des Parcelles assainies de Dakar, prétendument après avoir été sévèrement battu par son marabout avec un fouet en caoutchouc pour n'avoir pas mémorisé un verset du Coran.
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