Carte blanche professeur Robert Deschamps
A Monsieur Robert Deschamps, professeur aux Facultés Universitaires de Namur
Monsieur le professeur,
J'ai lu avec intérêt votre article intitulé « Enseignement francophone : comment mieux faire ? » paru sous la rubrique « Carte blanche » du Soir du jeudi 19 février 2009.
Ayant été professeur dans l'enseignement secondaire pendant 35 ans, après avoir vécu la réalité du terrain, je souhaiterais vous donner mon éclairage sur les pistes que vous tracez pour améliorer notre enseignement.
1°. L'esprit du décret Mixité sociale partait très certainement d'un bon sentiment, c'est-à-dire celui d'imposer à toute école en région francophone un quota d'élèves venant de milieux socialement et culturellement défavorisés et de mettre un terme à des écoles ghettos.
Toutefois, son application s'avère être un échec total : une société démocratique ne peut admettre que l'avenir scolaire de ses enfants se joue sur un coup de dés. L'entêtement parental à s'obstiner à vouloir inscrire leur enfant dans des écoles « spécifiques » traduit l'aberration d'un tel système.
2° Cela étant, je ne participe pas à votre vision des choses lorsque vous solutionnez ce problème par une amélioration de notre enseignement : il me paraît assez remarquable que le problème des inscriptions en première secondaire se greffe sur des écoles qui n'ont pas sauté dans le train des banalisations outrancières de l'effort à produire par leurs élèves et dont les résultats universitaires sont très nettement meilleurs que dans des écoles qui pratiquent le laxisme intégral par clientélisme obligé.
3° Dans chacune de nos villes, nous assistons – en pleine année scolaire - à une compétition effrénée entre écoles, tous réseaux confondus. L'école d'aujourd'hui – par ce système - évalue sa propre réputation Il est à noter que certaines d'entre elles participent de manière insidieuse à favoriser un tel système.
4° Vous référant à l'enquête Pisa de l'OCDE, vous écrivez que notre enseignement se classe plutôt mal par rapport aux autres pays industrialisés. Je pense qu'il serait extrêmement intéressant d'établir une enquête de qualité de notre enseignement en comparant l'enseignement francophone et néerlandophone…
En effet, on peut constater que la majorité des écoles en région flamande sont restées des écoles dites « d'enseignement traditionnel » alors que dans le même temps, les écoles en région francophone se sont vues dans l'obligation d'appliquer une enseignement dit « rénové » sous peine de perdre leurs subsides de fonctionnement.
Ce faisant, dès la première année du secondaire, nos élèves se sont retrouvés devant une multiplicité d'options dont des plus farfelues : l'enseignement « à la carte » était né !
Libérés de la pression et de la responsabilité parentale, les élèves choisirent leur propre filière d'enseignement par choix négatifs. Tout fût fait pour les rassasier : on inventa des options tennis/langues/flûte à bec…déforçant les axes fondamentaux de tout enseignement : la formation littéraire et la formation scientifique.
Professeur de langues germaniques, j'ai pu constater que mes élèves de sections latin-math devinrent bien plus « doués » en langues que ceux des sections à orientation linguistique, les premiers ayant misé sur l'effort personnel, les seconds ayant choisi les langues par élimination des autres sections, pour éviter trop d'heures de math, de français, de sciences…
Nos écoles doivent rétablir l'émulation positive.
5° Vous prétendez que les faibles performances de notre enseignement ne sont pas dues à un manque de moyens financiers et humains, or, vous conviendrez avec moi que nous assistons aujourd'hui dans l'ensemble de la communauté scolaire à une féminisation extrême :
L'enseignement ne serait-il plus financièrement attractif pour nos jeunes hommes?
6° Dans les pistes que vous tracez quant à l'organisation de notre enseignement, vous parlez de la liberté et de la responsabilité des enseignants.
Je vous fais remarquer que durant des décennies, on n'a cessé d'infantiliser les professeurs.
Des universitaires de salons, des politiciens hautains, des pédagogues coupés de la réalité quotidienne des classes, des inspecteurs embourgeoisés n'ont cessé de chambarder tous les programmes. Les enseignants se gargarisèrent de formules à l'emporte-pièce : « les compétences transversales », l' « auto-évaluation », l' « immersion linguistique », « tous bilingues en 2000 ».
Monsieur le professeur de Facultés,
nos instituteurs d'antan n'ont pas eu besoin de ces formules pour enseigner leur art…
6°Au fond quel doit être le rôle de l'enseignant ?
Continuer à vouloir transmettre des connaissances et s'assurer de leur acquis tout en ayant le sentiment de parler pour les murs ? ou bien se transformer en moniteur de colonies, en animateur de musique rap ?
« Qui dit que vous n'êtes bon à rien ? » « Vous êtes un excellent paresseux ! »
Les politiques prêchent l'égalitarisme et fabriquent un enseignement hyper-élitiste en généralisant la culture de masse, le non-redoublement, les compétences minimales…
En abaissant nos exigences, nous contribuons à conforter nos élèves dans la médiocrité !
Dans la plupart des programmes scolaires, on a fait table rase du passé, on a instauré l'inculture pour tous, on a ressuscité l'homme des cavernes et en réalité », on a détruit ce que des millénaires de patience et d'ingéniosité avaient peu à peu créé : la culture humaine.
Les enseignants ont plus que jamais besoin de confiance, de liberté pédagogique, d'estime de leurs directions et d'encouragement.
« Ne demandez pas à l'école de vous donner des frissons, demandez-lui plutôt de vous étonner »
Je crains que mon cri ne soit perçu comme un murmure.
7° Je participe à votre volonté d'accompagner des élèves en difficultés, vous voudrez bien noter que cela se pratique dans des cours de « remédiation » regroupant des élèves faibles ou des élèves absents pour raison médicale.
Néanmoins, je serai beaucoup plus prudent sur votre initiative d'instaurer une évaluation générale des élèves de 6ème primaire dans toutes les écoles de
8° Je suis de votre avis quand vous souhaitez réhabiliter les examens de passage de septembre ! Trop d'écoles en sont encore au « plan de récupération », l'élève passe dans l'année supérieure mais est soumis à des évaluations périodiques des branches non réussies en juin. Ce système vaut pour l'enseignement universitaire mais non pour le secondaire.
9° Je pense qu'il faut laisser au Conseil de Classe - regroupant l'ensemble des professeurs - son rôle souverain
.Celui-ci évalue chaque élève en fonction de ses compétences, de ses connaissances, de ses savoirs-faire, de ses savoirs-être. Les procédures de recours ne sont pas faites pour des élèves qui étaient jugés « trop courts » en juin mais elles se basent sur des critères qui n'auraient pas été suffisamment pris en considération par le Conseil de Classe de juin.
10° Les jeunes d'aujourd'hui ont aussi soif de connaissance, d'ordre et de discipline que ceux d'hier, ils ont certainement la verve plus colorée que nos élèves d'autrefois.
Et pourtant, l'ensemble des enseignants aiment ce métier tant décrié parce qu'il est difficile, de cette difficultés pleine de questionnements que vivent tous les professeurs à éduquer ces merveilles que sont nos jeunes…
Ces lumières d'espérance mêlée de crainte qui brillent dans leurs regards et font trembler leurs voix.
G. Wilmotte
Inscrivez-vous au site
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 76 autres membres