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Il n'est pas de montagne plus haute que les marches de l'oubli

Dans la clinique du monde

Je tiens un livre ouvert sur mes genoux. Je lève les yeux vers le ciel. C'est la naissance du jour. Un vent frisquet caresse mes joues, secoue paresseusement le feuillage des arbres comme une maman réveille un enfant un lundi matin.  "Mon chéri, lève-toi, tu dois aller à l'école." Je suis assis sur ma terrasse sur une longue chaise en fer, habillé d'un simple short de l'équipe de foot de mon quartier sans palmarès. Je suis sorti de mon lit un peu plus tôt, quand la nuit était encore noire, pour lire.

 

Là, j'assiste à la naissance du jour, médusé et amusé. L'aube est pour moi un moment intensément poétique, de réveil, d'éveil et d'étonnement. Je sais que vous êtes entrain de vous dire que je suis un pauvre désoeuvré.... Mais je l'assume.

 

J'ai donc arrêté la lecture ( un ivre de Ryszard Kapuscinski qui s'appelle "Ebène" )pour admirer l'aube, contempler le vol inaugural des oiseaux.

 

Une lueur blanche s'élève à l'horizon, dissipant les dernières ombres autour des maisons, à cette heure du jour me revient toujours une chanson apprise à l'école primaire de mon village. Vous devez la connaître mais je vais quand même vous la chanter. " Le coq chante et le jour paraît, tout s'éveille dans le village, pour que le bon couscous soit prêt. Femme debout et du courage . Pilons pan pan, pilons gaiement."

 

Je dois une fière chandelle à ces pauvres femmes, non seulement, elles doivent se lever dès poltron-minet pour fair le couscous, une harassante corvée, mais les soirs, on les trouve dans nos villes, à l'angle des rues, sous les lampadaires, pour vendre le couscous, dîners favoris des célibataires comme moi.

 

Les haut-parleurs des mosquées murmurent une oraison sereine, la wazifa, c'est une berceuse langoureusement psalmodiée dans cette maternité du monde où vient de naître un jour, un jour nouveau frais et beau. Il s'appelle lundi, c'est un beau bébé au teint rose, emmitouflé dans ses draps de nuages. Il cligne déjà de l'oeil à la lueur prochaine du soleil.

 

De ma terrasse, j'aperçois des hommes, encore ensommeillés, qui trottent sur le bas-côté de la route, pour aller affronter les embouteillages du matin. Je sais qu'intérieurement ils sont entrain d maudire leur patron.

 

Mes idées me viennent le matin. Les enfants qui vont à l'école. Ils marchent sac au dos sur le chemin. Il y a quelque chose de réconfortant. Une nation qui enseigne à ses enfants. Les enfants qui vont à l'école, ça veut dire quoi? Ca veut dire que l'enfant est là.  Une femme l'a mis au monde. Il a pris ses vaccins sans doute, il a grandi. Il a un sac au dos chinois, à l'intérieur des livres édités en France. Il mange un pain u blé importé. Il a des baskets américains. Il va apprendre dans une autre langue. Une nation doit s'arrêter et faire un choix.

 

Bientôt la terre est emplie pr une rumeur de klaxons, des rideaux de commerces qui se lèvent. Hier, c'était comme ça. Aujourd'hui et demain ce sera sans doute pareil. 

 

Du haut de ma terrasse, j'assiste au spectacle pitoyable d'un monde affairé qui va chercher le pain du jour et, si possible, le grain d'une vie.

 

Moi, célibataire assumé et endurci, je laisse les hommes à leurs occupations matérielles pour regagner mon lit à une place et me couvrir de la chaleur de mes draps solitaires.

(Le Quotidien, Abdou Rahamane Mbengue, Saly 11 janvier 2019)



12/01/2019
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