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Il n'est pas de montagne plus haute que les marches de l'oubli

Belgique1 *

Le 9 octobre 1974, je ne me doutais nullement,  en poussant la grosse porte de mon collège, y laisser la plus grande partie de ma vie.

 



4O années en compagnie de prêtres, marqueurs d'hommes, qui m'ont tous laissé l'empreinte de leur affection.



   L'abbé Marc Selvais(1925-2007)


Le premier d'entre eux fut l'abbé Selvais dont le départ m'attriste profondément.

C'était un homme extrêmement rigoureux sur le plan des principes religieux ainsi que sur le plan pédagogique.Il connaissait excellemment tous ses professeurs et ses élèves.

Rien ne lui échappait, il savait tout. Tout était dans le détail de l'organisation.Lorsqu'il fabriquait ses horaires de septembre, il passait lui-même des nuits par terre sur son immense tableau.Chaque professeur avait son petit signe, le mien était un cochon...Il était acharné à la tâche n'ayant qu'un seul et unique but : faire prospérer la réputation de son école dans toute la région du Centre.

Il avait un talent énorme d'écoute et veillait toujours à protéger l'image de ses professeurs aux yeux des parents,
sans oublier un sens très aigu de la discrétion.
Son autorité émanait de son regard: "là où le regard suffit..."





Anecdotes:

Il me reçut ce jour du 9 octobre 74 dans son petit bureau, il me dit simplement:
"Monsieur W., vous prendrez les classes supérieures des humanités"
Je n'étais pas préparé à cette tâche pour avoir démarré mon enseignement dans les classes inférieures.
J'enseignais l'histoire de Rome en Néerlandais dans les classes bilingues du Collège Saint-Michel à Bruxelles...
Très vite, l'abbé Selvais détecta mon appréhension de jeune prof et il insista pour que je prenne les classes de rhéto et de poésie.

"On n'enseigne pas seulement ce que l'on sait, on enseigne ce que l'on est (Jean Jaurès)

Dès les premières années, il ne cessa de surveiller discrètement mon enseignement.

Parfois, il assistait lui-même à mes cours.Il était assis au fond de ma classe et analysait toutes les réactions d'élèves.

Un jour de 1975, je l'aperçus sautillant dans le grand couloir du premier, me faisant signe  de sortir.. l'Inspectrice d'Etat nous attendait dans son bureau..
Il était extrêmement attentif aux remarques que l'inspectrice faisait à ses 2 professeurs de langues:  quelle joie pour lui et pour nous, lorsque cette dame signa l'"excellence" sur nos 2 rapports!

Dès les années 76 77 78 , il organisa les grandes "fancy-fair" de mon collège.Tous les locaux du primaire étaient transformés en bars, estaminets, marchés de jambon d'Ardenne ...
La salle d'étude devenait "un lieu de culte" où se produisaient les vedettes d'époque du showbiss: Hervé Vilard, Shake, La bande à Basile...


Ce matin là, je tenais la caisse au nouveau restaurant avec ma fiancée, l'abbé avait troqué sa tenue de prêtre pour un clergyman.Il  nous apparut dans un costume bleu qui illuminait son statut d'homme et de directeur.

En 1978,  avec l'abbé Fagot,  en compagnie de Jacques Salmon, il me faisait  l'honneur d'assister à mon mariage avec Mademoiselle Christine G. à Bruxelles.



Lors des conseils de classes, il jouait parfaitement son rôle d'arbitre et il se gardait bien d'intervenir dans les discussions préliminaires entre profs;  des conseils de classe... il en fut de mémorables...

Je me souviens que , lors de l'un de ceux-ci, je m'opposai au passage d'un élève;  le directeur fit l'aumône auprès de mes collègues pour argumenter la réussite, je gardai mes positions et nous arrivâmes à un match nul, le directeur arrêta le Conseil de Classe quelques minutes...Palabres dans le couloir; il espérait me gagner à sa cause et il y réussit en préservant  tout l'honneur de mon affrontement.
Il veillait scrupuleusement  à privilégier d'abord les avis de ses professeurs sur leurs élèves!



Il devait souvent changer des notes erronées que je lui avais transmises et qu'il rectifiait à la gomme et au crayon noir.

Lors de son départ mon collège, je lui offris une petite bouteille de tipp-ex en reconnaissance  de mes erreurs.

Je me souviens être arrivé en retard à l'un de ceux- ci; immédiatement entré, je fus interrogé par "le directeur" sur les résultats d'un élève en néerlandais, comme je ne savais pas de quel élève il parlait,  il me dit: "Monsieur W., nous parlons du cas de Carlier", je l'interrogeai: "Carlier J-F ou M ? il me répondit avec sa saveur habituelle: "Monsieur W., vous regardez trop Dallas!  ".

le 09.09.80, je reçus par Arrêté royal l'agréation de ma nomination définitive signée du ministre Guy Mathot.
Il m' accueillit dans son bureau et me dit: "Monsieur W., on compte sur vous".



Comme tous mes autres collègues, je n'avais pas le droit
d' arriver en retard malgré les caprices de la  météo:

"Consultez les prévisions des vieux agriculteurs!"

Un nouveau matin, je lui demandai son sentiment sur la rédaction d'un texte que j'avais composé: il le lut attentivement et me lança son verdict:" C'est bon mais,  à la fin de ce paragraphe, il manque un point."

En 1987, j'avais annoncé à l'abbé Selvais l'assassinat de Marie N.et mon départ pour Kinshasa, il fut très inquiété pour moi et,   à mon retour, il s'enquit de mon séjour en Afrique centrale.

 



En 1990, "Monsieur le directeur" tirait sa révérence après avoir lancé le chantier des grands travaux : de nouvelles classes et de nouveaux bâtiments pour l'école hôtelière.



Durant ces dernières années, je le vis souvent au détour de quelques courses.
je me souvins lui avoir annoncé que j'avais arrêté ma fonction mais que cela ne me convenait guère;  il m'avait lancé en boutade : "vous verrez, vous vous habituerez vite.."

Une autre fois lors d'une de ses visites à mon collège, il me dit: "je suis allé voir "le fag"(abbé Fagot),  il va très mal et souffre d'Alzheimer..."




En 2003, il était venu célébrer l'office pour les petites communions des enfants de mon colège.Je lui avais fait parvenir une très jolie photo de lui donnant la communion à Emilien;  quelques jours après, Emilien recevait une très jolie carte avec l'image d'un petit rouge-gorge, au dos, l'abbé Selvais avait écrit :

 "Cher petit Emilien, j'ai reçu avec plaisir la photographie de moi,  à toi Emilien, je dis les voeux les meilleurs, sois un bon et courageux élève: je devine qu'il en sera ainsi."



Au mois de juin 2004 , son ami Michel Fagot s'est enfoncé inexorablement dans les brumes neigeuses  de Chamonix, l'abbé Selvais fera,  lors de ses funérailles,  le portrait d'une vie dans des termes retentissants.


En fin 2006, l'abbé Selvais était hospitalisé;  lors de ma visite avec G. H., il refit le tour de tous nos collègues, il nous posa mille et une questions sur le devenir de chacun, nous récitant de mémoire leurs dates de naissance.

Dès qu'il sortit d'hospitalisation, un très beau petit mot était rédigé à chacune de nos intentions.



Comme un secret que je m'étais décidé de ne dévoiler qu'après son départ : longtemps encore, je hanterai les mémoires de profs pour avoir osé, dans une satire, lancer à son adresse  un "Selvais, tais-toi" sec et net.

Le public de mon collège sous la grande salle d'études a toujours ignoré que je lui avais soumis mon texte dans les jours qui précédèrent  et qu' il m'avait donné son assentiment!



Lui-même comme moi savions que tout était monté de toutes pièces, que mon rôle consistait à susciter l'envie du public de m'envoyer dans les cordes, ce qui se produisit avec un peu de retard sur nos prévisions.

Après le dernier sketch, il était venu me trouver dans les coulisses..de l'exploit pour me demander si j'allais bien.

Le soir de cette manifestation, j'avais d'ailleurs rendez-vous  avec tous les rhétos  chez moi et nous poursuivîmes la fête.

                                       Merci, Monsieur le directeur!


"Parfois même tout donner n'est pas forcément suffire,
  sachez que dans mon collège et à la ronde  restera de vous une empreinte indélébile."

                                    ic
i pour suivre


27/03/2007
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